Le harcèlement moral au travail : des sanctions renforcées pour protéger les salariés

Face à la recrudescence des cas de harcèlement moral en entreprise, la justice durcit le ton. Quelles sont les nouvelles mesures prises pour sanctionner les harceleurs et protéger les victimes ? Décryptage des évolutions législatives et jurisprudentielles.

Les différentes formes de harcèlement moral au travail

Le harcèlement moral au travail peut prendre diverses formes, souvent insidieuses. Il se caractérise par des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Parmi les comportements constitutifs de harcèlement moral, on peut citer : les critiques incessantes, la mise à l’écart, les tâches dévalorisantes, les pressions psychologiques, ou encore les humiliations publiques.

La loi du 2 août 2021 relative à la santé au travail a élargi la définition du harcèlement moral pour inclure les agissements commis par l’intermédiaire d’un moyen de communication électronique. Cette évolution législative permet de prendre en compte les nouvelles formes de harcèlement liées au développement du télétravail et des outils numériques.

Les sanctions pénales encourues par les harceleurs

Le Code pénal prévoit des sanctions sévères à l’encontre des auteurs de harcèlement moral. L’article 222-33-2 dispose que le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

Ces peines peuvent être aggravées dans certaines circonstances, notamment lorsque les faits sont commis par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions. Dans ce cas, les sanctions peuvent aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

La jurisprudence récente témoigne d’un durcissement des sanctions pénales prononcées à l’encontre des harceleurs. Ainsi, dans un arrêt du 19 janvier 2022, la Cour de cassation a confirmé la condamnation d’un cadre à 18 mois d’emprisonnement dont 6 mois ferme pour des faits de harcèlement moral ayant conduit au suicide d’un salarié.

Les sanctions civiles et la réparation du préjudice subi

Outre les sanctions pénales, le harcèlement moral peut donner lieu à des sanctions civiles visant à réparer le préjudice subi par la victime. Le Code du travail prévoit la nullité de plein droit de toute rupture du contrat de travail résultant d’un harcèlement moral, ainsi que de toute mesure discriminatoire directe ou indirecte en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat.

La victime de harcèlement moral peut saisir le Conseil de prud’hommes pour obtenir des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi. Les juges évaluent ce préjudice en tenant compte de divers facteurs tels que la durée du harcèlement, sa gravité, ses conséquences sur la santé et la carrière de la victime.

Une décision marquante de la Cour d’appel de Paris du 10 mars 2022 a condamné une grande entreprise à verser plus de 400 000 euros de dommages et intérêts à une salariée victime de harcèlement moral pendant plusieurs années. Cette décision illustre la tendance des juridictions à prononcer des indemnisations conséquentes pour réparer l’intégralité du préjudice subi par les victimes.

Les obligations de l’employeur en matière de prévention et de sanction

L’employeur a une obligation de sécurité envers ses salariés, qui implique de prendre les mesures nécessaires pour prévenir le harcèlement moral et y mettre fin lorsqu’il en a connaissance. Le manquement à cette obligation peut engager sa responsabilité civile, indépendamment de la faute de l’auteur du harcèlement.

La loi du 2 août 2021 a renforcé les obligations de l’employeur en matière de prévention des risques psychosociaux. Elle impose notamment la mise en place d’un référent harcèlement dans toutes les entreprises d’au moins 250 salariés, chargé d’orienter, d’informer et d’accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement moral et les agissements sexistes.

En cas de harcèlement moral avéré, l’employeur doit prendre des sanctions disciplinaires à l’encontre de l’auteur des faits. La jurisprudence considère que le licenciement pour faute grave est justifié en cas de harcèlement moral, même si les faits n’ont pas entraîné d’arrêt de travail de la victime (Cass. soc., 29 juin 2022).

Le rôle des représentants du personnel et de l’inspection du travail

Les représentants du personnel jouent un rôle crucial dans la lutte contre le harcèlement moral. Le Comité Social et Économique (CSE) dispose d’un droit d’alerte en cas d’atteinte aux droits des personnes. Il peut saisir l’employeur qui doit alors procéder sans délai à une enquête et prendre les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation.

L’inspection du travail a également un rôle important dans la prévention et la sanction du harcèlement moral. Les agents de contrôle peuvent constater les infractions par procès-verbal et les transmettre au procureur de la République. Ils peuvent aussi intervenir dans l’entreprise pour vérifier le respect des obligations de l’employeur en matière de prévention des risques psychosociaux.

Une circulaire du ministère du Travail du 3 septembre 2021 a renforcé les pouvoirs des inspecteurs du travail en matière de lutte contre le harcèlement moral. Ils peuvent désormais ordonner à l’employeur de prendre des mesures de prévention sous peine d’amende, voire saisir le juge des référés pour faire cesser le harcèlement en cas d’inaction de l’employeur.

Les évolutions récentes de la jurisprudence

La jurisprudence en matière de harcèlement moral connaît des évolutions constantes, tendant globalement vers un renforcement de la protection des victimes. Plusieurs décisions récentes méritent d’être soulignées :

– Un arrêt de la Cour de cassation du 8 décembre 2021 a précisé que le harcèlement moral peut être caractérisé indépendamment de l’intention de son auteur. Cette décision facilite la preuve du harcèlement pour les victimes, qui n’ont plus à démontrer la volonté de nuire de l’auteur des faits.

– Une décision de la Cour d’appel de Versailles du 17 mars 2022 a reconnu l’existence d’un harcèlement moral « institutionnel », résultant de méthodes de gestion mises en œuvre par la direction de l’entreprise. Cette jurisprudence ouvre la voie à une responsabilisation accrue des dirigeants dans la prévention des risques psychosociaux.

– Enfin, un arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 2022 a admis que le harcèlement moral puisse être caractérisé par un seul acte d’une particulière gravité, rompant ainsi avec l’exigence traditionnelle d’agissements répétés. Cette évolution jurisprudentielle permet de sanctionner des comportements particulièrement graves, même s’ils sont isolés.

Le renforcement des sanctions contre le harcèlement moral témoigne d’une prise de conscience croissante de la gravité de ce phénomène et de ses conséquences dévastatrices sur les victimes. Les évolutions législatives et jurisprudentielles récentes offrent une meilleure protection aux salariés, tout en responsabilisant davantage les employeurs et les auteurs de harcèlement. Cette tendance devrait se poursuivre dans les années à venir, avec une vigilance accrue des pouvoirs publics et des juridictions sur cette problématique majeure du monde du travail.