Face à la montée des risques psychosociaux (RPS) dans le monde professionnel, le Comité Social et Économique (CSE) dispose d’un pouvoir considérable : le droit d’alerte. Cette prérogative permet aux représentants du personnel de signaler des situations potentiellement dangereuses pour la santé mentale des salariés. Mais que se passe-t-il lorsque cette alerte est ignorée par l’employeur ? Les conséquences peuvent être dramatiques, tant sur le plan humain que juridique. Cette problématique, au carrefour du droit du travail, de la santé au travail et de la responsabilité patronale, mérite une analyse approfondie des mécanismes légaux en jeu et des solutions disponibles pour faire respecter ce droit fondamental.
Fondements juridiques du droit d’alerte du CSE en matière de risques psychosociaux
Le droit d’alerte du CSE trouve son ancrage dans le Code du travail, plus précisément à l’article L.2312-59, qui stipule que lorsqu’un membre du comité constate une cause de danger grave et imminent, il en alerte immédiatement l’employeur. Cette disposition s’applique pleinement aux risques psychosociaux, même si ces derniers présentent la particularité d’être moins visibles que les risques physiques.
La jurisprudence a progressivement reconnu l’application de ce droit aux situations générant des RPS. L’arrêt fondateur de la Cour de cassation du 28 novembre 2007 (n°06-21.964) a marqué un tournant en reconnaissant explicitement que le danger pour la santé mentale des travailleurs pouvait justifier l’exercice du droit d’alerte. Cette décision a été confirmée par de nombreuses autres, dont l’arrêt du 5 mars 2015 (n°13-26.321) qui précise que le droit d’alerte peut être déclenché même pour un risque potentiel, dès lors qu’il est suffisamment caractérisé.
Le cadre légal impose à l’employeur une obligation de sécurité concernant la protection de la santé physique et mentale des travailleurs (article L.4121-1 du Code du travail). Cette obligation, initialement de résultat, a été requalifiée par l’arrêt Air France du 25 novembre 2015 en obligation de moyens renforcée. L’employeur doit désormais prouver qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir les risques professionnels, y compris psychosociaux.
Les conditions de déclenchement du droit d’alerte
Pour être valablement exercé, le droit d’alerte concernant les RPS doit répondre à plusieurs critères :
- L’existence d’un danger grave, c’est-à-dire susceptible de produire un accident ou une maladie entraînant la mort ou une incapacité permanente ou temporaire prolongée
- Le caractère imminent du danger, qui ne signifie pas que le dommage doit se réaliser immédiatement, mais qu’il peut survenir à tout moment
- La consignation de l’alerte dans le registre spécial des dangers graves et imminents
La Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 27 septembre 2017 (n°16-22.224) que les risques psychosociaux peuvent constituer un danger grave et imminent lorsqu’ils sont susceptibles de dégrader brutalement les conditions de travail. Des situations comme une réorganisation brutale, un management par la peur, ou un harcèlement moral institutionnalisé peuvent ainsi justifier le déclenchement du droit d’alerte.
Ce cadre juridique solide fait du droit d’alerte un outil puissant pour les membres du CSE. Toutefois, sa mise en œuvre pratique se heurte parfois à des résistances, notamment lorsque l’employeur décide d’ignorer l’alerte émise, ce qui constitue une violation caractérisée de ses obligations légales.
Manifestations et conséquences de l’inaction patronale face à une alerte RPS
L’absence de réaction de l’employeur suite à un droit d’alerte concernant les risques psychosociaux peut prendre différentes formes, allant de l’inertie passive à la contestation active. Cette inaction n’est pas sans conséquences, tant sur le plan humain qu’organisationnel et juridique.
Dans la pratique, l’inaction patronale se manifeste souvent par un refus de procéder à l’enquête conjointe prévue par l’article L.2312-60 du Code du travail. Cette enquête, censée être menée immédiatement par l’employeur et au moins un représentant du CSE, vise à identifier les causes du danger et à proposer des mesures pour y remédier. Son absence prive les salariés d’une première réponse institutionnelle à leur souffrance.
D’autres formes d’inaction incluent la minimisation systématique des alertes, leur qualification de « simples désagréments professionnels », ou encore le refus de mettre en place les mesures préconisées suite à l’enquête. La jurisprudence a sanctionné ces comportements dans plusieurs décisions, notamment dans l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 14 mai 2019 (n°18/00016) qui a retenu la faute inexcusable d’un employeur ayant ignoré les alertes répétées du CHSCT concernant une situation de harcèlement moral.
Impact sur la santé des salariés
Les conséquences de cette inaction sont d’abord humaines. En l’absence de réponse adaptée, les risques psychosociaux identifiés continuent de produire leurs effets délétères sur la santé mentale des salariés :
- Aggravation des symptômes anxio-dépressifs
- Augmentation du risque de burn-out et d’épuisement professionnel
- Progression des idéations suicidaires dans les cas les plus graves
L’affaire France Télécom, jugée en 2019, illustre tragiquement ces conséquences, avec une vague de suicides liée à une politique de management délibérément anxiogène, malgré les alertes des instances représentatives du personnel.
Sur le plan organisationnel, l’inaction face aux alertes RPS engendre une dégradation du climat social, une augmentation de l’absentéisme et une baisse de productivité. Une étude de l’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité) de 2018 évalue le coût du stress professionnel entre 2 et 3 milliards d’euros par an en France.
Juridiquement, l’employeur qui ignore une alerte RPS s’expose à plusieurs risques majeurs. D’abord, il commet un délit d’entrave au fonctionnement du CSE, puni d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende (article L.2317-1 du Code du travail). Ensuite, en cas d’atteinte effective à la santé d’un salarié, sa responsabilité civile peut être engagée pour manquement à son obligation de sécurité.
La Cour de cassation a ainsi jugé, dans un arrêt du 17 octobre 2018 (n°17-17.985), qu’un employeur ayant ignoré les alertes du CHSCT concernant une situation de souffrance collective avait commis une faute inexcusable, ouvrant droit à une majoration de l’indemnisation des victimes. Cette jurisprudence confirme que l’inaction face à une alerte RPS n’est pas une option légalement acceptable pour l’employeur.
Procédures de recours à la disposition du CSE face à l’inertie patronale
Lorsque l’employeur reste sourd aux alertes concernant les risques psychosociaux, le CSE n’est pas démuni. Le législateur a prévu plusieurs mécanismes permettant aux représentants du personnel de faire face à cette inertie préjudiciable.
La première voie de recours est celle de l’inspection du travail. L’article L.2312-59 du Code du travail prévoit explicitement qu’en cas de divergence sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser, le CSE peut saisir l’inspecteur du travail. Ce dernier dispose de pouvoirs d’investigation étendus et peut mettre en demeure l’employeur de prendre des mesures de prévention adaptées (article L.4721-1).
L’intervention de l’inspecteur du travail présente plusieurs avantages. D’une part, elle permet une expertise extérieure et impartiale de la situation. D’autre part, elle crée une trace administrative officielle du signalement, utile en cas de contentieux ultérieur. Dans un arrêt du 19 décembre 2018 (n°17-14.665), la Cour de cassation a reconnu la valeur probante du rapport de l’inspecteur du travail concernant l’existence de RPS ignorés par la direction.
Le recours à l’expertise pour risque grave
Une deuxième voie, particulièrement efficace, consiste pour le CSE à faire appel à un expert agréé au titre de l’article L.2315-94 du Code du travail. Cette expertise pour risque grave peut être décidée par le comité sans l’accord de l’employeur, dès lors que le risque est constaté dans l’établissement. Ses frais sont intégralement pris en charge par l’entreprise.
L’expertise présente l’avantage de fournir une analyse approfondie et documentée de la situation psychosociale dans l’entreprise. Le rapport d’expertise peut :
- Objectiver les risques psychosociaux signalés dans le droit d’alerte
- Proposer des mesures concrètes pour remédier aux situations problématiques
- Servir de base à d’éventuelles actions judiciaires ultérieures
Dans un arrêt du 26 janvier 2012 (n°10-12.183), la Cour de cassation a validé le recours à une telle expertise suite à l’inaction d’un employeur face à une situation de souffrance au travail, malgré les alertes répétées du CHSCT.
Une troisième voie de recours consiste à saisir le juge des référés du Tribunal judiciaire. Cette procédure d’urgence, prévue par l’article 835 du Code de procédure civile, permet d’obtenir rapidement des mesures conservatoires ou de remise en état pour prévenir un dommage imminent. Le juge des référés peut ainsi ordonner la suspension d’une réorganisation génératrice de RPS, comme l’a fait le Tribunal de grande instance de Paris dans une ordonnance du 5 juillet 2019 concernant une grande entreprise de télécommunications.
En cas d’inaction persistante, le CSE peut également engager une action en responsabilité civile contre l’employeur devant le Conseil de prud’hommes, au nom de l’intérêt collectif de la profession qu’il représente (article L.2312-59 du Code du travail). Cette action peut aboutir à la condamnation de l’entreprise à des dommages-intérêts, comme dans l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 13 décembre 2018 (n°16/08787).
Ces différentes procédures ne sont pas exclusives l’une de l’autre et peuvent être menées conjointement ou successivement, selon la gravité de la situation et la persistance de l’inaction patronale. Leur utilisation stratégique par le CSE constitue un levier puissant pour contraindre l’employeur à prendre au sérieux les alertes concernant les risques psychosociaux.
Responsabilités juridiques et sanctions encourues par l’employeur négligent
L’employeur qui fait le choix d’ignorer un droit d’alerte relatif aux risques psychosociaux s’expose à un arsenal de sanctions juridiques particulièrement dissuasives, tant sur le plan civil que pénal, voire administratif.
Sur le plan civil, la responsabilité contractuelle de l’employeur peut être engagée sur le fondement de l’article 1231-1 du Code civil, combiné à l’obligation de sécurité prévue par l’article L.4121-1 du Code du travail. Cette responsabilité se traduit par l’obligation de réparer intégralement le préjudice subi par les salariés exposés aux RPS signalés mais non traités.
La jurisprudence a considérablement renforcé cette responsabilité. Dans un arrêt fondateur du 28 février 2002, dit arrêt Amiante, la Cour de cassation a reconnu la faute inexcusable de l’employeur qui avait ou aurait dû avoir conscience du danger et n’a pas pris les mesures nécessaires pour en préserver les salariés. Cette jurisprudence a été étendue aux risques psychosociaux par un arrêt du 8 juillet 2009 (n°08-44.241).
Les sanctions pénales
Sur le plan pénal, plusieurs infractions peuvent être retenues contre l’employeur négligent :
- Le délit d’entrave au fonctionnement du CSE (article L.2317-1 du Code du travail), passible d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende
- La mise en danger de la vie d’autrui (article 223-1 du Code pénal), punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende
- En cas de dommage avéré, les infractions de blessures involontaires (article 222-19 du Code pénal) ou, dans les cas les plus graves, d’homicide involontaire (article 221-6 du Code pénal)
Le procès France Télécom, qui s’est conclu en décembre 2019 par la condamnation de l’entreprise et de ses dirigeants pour harcèlement moral institutionnel, illustre la possibilité de sanctions pénales sévères. L’entreprise a été condamnée à une amende de 75 000 euros, et son ancien PDG à un an de prison dont huit mois avec sursis et 15 000 euros d’amende.
L’inspection du travail dispose également de pouvoirs coercitifs. Elle peut notamment :
Adresser une mise en demeure à l’employeur (article L.4721-1 du Code du travail), lui enjoignant de prendre des mesures pour remédier à la situation de risque psychosocial
Dresser un procès-verbal en cas de non-respect de cette mise en demeure, transmis au Procureur de la République
Dans les situations les plus graves, ordonner l’arrêt temporaire de l’activité (article L.4731-1 du Code du travail)
La Cour de cassation a validé ces interventions dans un arrêt du 5 mars 2015 (n°13-26.321), reconnaissant la légitimité d’une mise en demeure adressée à un employeur qui avait ignoré les alertes relatives à une situation de souffrance au travail.
Au-delà des sanctions juridiques directes, l’inaction face aux alertes RPS expose l’employeur à des conséquences financières indirectes considérables : augmentation des cotisations AT/MP (accidents du travail/maladies professionnelles), coûts liés à l’absentéisme et au turnover, dégradation de l’image de l’entreprise pouvant affecter son attractivité commerciale et son recrutement.
Une étude de l’ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail) de 2019 évalue le coût global des RPS non traités entre 2 et 3% de la masse salariale d’une entreprise, sans compter les éventuelles condamnations judiciaires.
Cette accumulation de risques juridiques et financiers devrait inciter les employeurs à considérer avec la plus grande attention les droits d’alerte émis par le CSE en matière de risques psychosociaux, l’inaction s’avérant, à terme, bien plus coûteuse que la mise en œuvre de mesures préventives adaptées.
Stratégies proactives pour une meilleure prise en compte des alertes RPS
Face à la problématique des droits d’alerte ignorés, il est préférable d’adopter une approche préventive plutôt que curative. Diverses stratégies peuvent être mises en œuvre par les CSE et les acteurs de la prévention pour favoriser une prise en compte effective des alertes relatives aux risques psychosociaux.
La formation constitue un premier levier fondamental. Les membres du CSE doivent maîtriser parfaitement le cadre juridique du droit d’alerte et les spécificités des RPS pour formuler des alertes précises et documentées. L’article L.2315-18 du Code du travail prévoit d’ailleurs une formation obligatoire en santé, sécurité et conditions de travail pour les membres du CSE, finançable sur le budget de fonctionnement du comité.
Cette formation doit être complétée par celle des managers et des dirigeants, souvent peu sensibilisés aux enjeux des RPS. Une étude de l’INRS de 2020 montre que 68% des entreprises où les managers ont été formés aux RPS connaissent une meilleure prise en compte des alertes du CSE sur ces questions.
La construction d’un dialogue social de qualité
L’établissement d’un dialogue social constructif représente un second levier stratégique. Ce dialogue peut prendre plusieurs formes :
- La mise en place d’une commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) active et dotée de moyens suffisants, même dans les entreprises où elle n’est pas obligatoire
- L’élaboration conjointe d’un protocole de gestion des alertes RPS, définissant précisément la procédure à suivre en cas de signalement
- L’organisation de réunions régulières dédiées spécifiquement aux questions de santé mentale au travail
La Cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 14 mai 2019 (n°18/00016), a d’ailleurs valorisé cette approche préventive en considérant que l’absence de dialogue sur les RPS constituait un élément à charge contre l’employeur dans un litige relatif à une alerte ignorée.
Un troisième axe stratégique consiste à s’appuyer sur des indicateurs objectifs pour étayer les alertes. Le CSE peut ainsi mettre en place un tableau de bord des RPS, incluant des données quantitatives (taux d’absentéisme, turnover, arrêts maladie) et qualitatives (remontées des entretiens professionnels, signalements auprès du médecin du travail). Ces indicateurs, régulièrement actualisés, permettent d’objectiver les alertes et de suivre l’évolution des situations à risque.
La médecine du travail constitue un allié précieux dans cette démarche. L’article L.4624-9 du Code du travail permet au médecin du travail de proposer des mesures individuelles d’aménagement du poste de travail lorsqu’il constate un risque pour la santé des travailleurs. Son intervention peut légitimer les alertes du CSE et faciliter leur prise en compte par l’employeur.
Une stratégie particulièrement efficace consiste à intégrer la prévention des RPS dans une démarche plus globale de qualité de vie au travail (QVT). Cette approche, promue par l’ANACT, permet de dépasser l’opposition parfois stérile entre performance économique et bien-être au travail. Elle invite à penser l’organisation du travail comme un levier d’amélioration conjointe des conditions de travail et de l’efficacité productive.
Enfin, la communication externe peut constituer un levier de persuasion non négligeable. Sans tomber dans une démarche conflictuelle contre-productive, le CSE peut sensibiliser les parties prenantes de l’entreprise (actionnaires, clients, fournisseurs) aux enjeux des RPS et à l’importance de leur prévention. Cette sensibilisation peut s’appuyer sur les nombreuses études démontrant l’impact économique positif d’une bonne gestion des RPS.
Une étude de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) publiée en 2019 évalue ainsi à 4 euros le retour sur investissement de chaque euro investi dans la prévention des risques psychosociaux. Cet argument économique, associé aux risques juridiques évoqués précédemment, peut constituer un puissant facteur de persuasion auprès des directions réticentes.
Vers une nouvelle culture de la prévention des risques psychosociaux
La problématique des droits d’alerte ignorés en matière de risques psychosociaux s’inscrit dans un contexte de mutation profonde du monde du travail. Les évolutions technologiques, organisationnelles et sociétales transforment radicalement notre rapport au travail et génèrent de nouvelles formes de risques pour la santé mentale des travailleurs.
Face à ces défis, une véritable révision de notre approche des RPS s’impose. Il ne s’agit plus seulement de respecter formellement les obligations légales, mais de développer une authentique culture de prévention intégrée à la stratégie même de l’entreprise.
Cette évolution culturelle passe d’abord par une meilleure compréhension des mécanismes de production des RPS. Les travaux de Christophe Dejours sur la psychodynamique du travail ou ceux de Yves Clot sur le travail empêché offrent des cadres théoriques précieux pour appréhender ces phénomènes complexes. Ils montrent notamment que les RPS ne résultent pas principalement de fragilités individuelles, mais de dysfonctionnements organisationnels qui empêchent la réalisation d’un travail de qualité.
L’évolution du cadre juridique et jurisprudentiel
Le cadre juridique lui-même connaît une évolution significative, avec une attention croissante portée à la dimension préventive. L’Accord National Interprofessionnel (ANI) du 9 décembre 2020 sur la santé au travail, transposé dans la loi du 2 août 2021, renforce ainsi les obligations de l’employeur en matière de prévention primaire des risques professionnels, y compris psychosociaux.
La jurisprudence accompagne cette évolution. Dans un arrêt du 5 octobre 2022 (n°21-83.146), la Cour de cassation a ainsi considéré que l’absence de prise en compte des alertes relatives aux RPS pouvait caractériser le délit de mise en danger délibérée de la personne d’autrui, même en l’absence de dommage avéré. Cette décision marque une avancée majeure dans la reconnaissance du caractère préventif des droits d’alerte.
L’approche des RPS évolue également sous l’influence du droit européen. La Directive-cadre 89/391/CEE sur la sécurité et la santé au travail impose aux employeurs une évaluation globale des risques, incluant explicitement les aspects psychosociaux. La Cour de justice de l’Union européenne a précisé, dans un arrêt du 15 novembre 2019 (C-107/18), que cette obligation s’étendait à tous les risques professionnels, y compris ceux liés à l’organisation du travail et aux relations sociales dans l’entreprise.
Des expériences étrangères peuvent inspirer l’évolution de notre approche nationale. Le modèle scandinave, particulièrement au Danemark et en Suède, se caractérise par une forte intégration des représentants du personnel dans les processus de prévention des RPS. Au Québec, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) dispose de pouvoirs d’intervention renforcés en matière de santé psychologique au travail.
Ces évolutions juridiques et conceptuelles s’accompagnent de transformations pratiques dans la gestion des alertes RPS. De nouvelles méthodes d’évaluation et d’intervention émergent, comme :
- Les espaces de discussion sur le travail (EDT), qui permettent aux salariés d’échanger collectivement sur les difficultés rencontrées dans leur activité
- Les démarches d’ergonomie participative, associant les travailleurs à la conception de leur environnement de travail
- Les observatoires du stress et des RPS, instances paritaires chargées de suivre l’évolution des indicateurs de santé mentale au travail
Ces approches innovantes partagent une caractéristique commune : elles replacent le travail réel au centre de la réflexion sur les RPS. Elles dépassent ainsi la vision réductrice qui limite les risques psychosociaux à des problématiques interpersonnelles ou à des fragilités individuelles.
Le développement des outils numériques offre également de nouvelles perspectives pour le traitement des alertes RPS. Des plateformes sécurisées de signalement, des applications de suivi des indicateurs de bien-être au travail, ou encore des systèmes d’alerte précoce basés sur l’intelligence artificielle permettent une détection plus rapide et un traitement plus efficace des situations à risque.
L’avenir de la prévention des risques psychosociaux passe ainsi par une approche intégrée, combinant rigueur juridique, innovation méthodologique et transformation culturelle. Dans cette perspective, le droit d’alerte du CSE ne constitue plus seulement un recours en cas de danger, mais un véritable outil de dialogue et d’amélioration continue des conditions de travail.
